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٤ MIMESIS


Un projet curatorial de Carolina Zaccaro et Francesca Sand


Karma, karma, karma, karma, karma chameleon
You come and go, you come and go
Loving would be easy if your colors were like my dreams 

Red, gold, and green, red, gold, and green

Culture Club, «Karma caméléon» (1983)


« Karma Chamaleon », chantaient les Culture Club dans les années ‘80. La chanson a rapidement connu le succès international, devenant partie intégrante de la culture po- pulaire. En effet, le caméléon représente au mieux l’esprit d’adaptation : sa capacité de camouflage est transversale, quasi instantanée, et directement perceptible. Nous pensons maintenant au mimétisme naturel, le phénomène par lequel certaines espèces animales et végétales prennent les couleurs et les formes du milieu environnant. Ou encore au mimétisme social, le phénomène par lequel, inconsciemment, nous finissons par adapter notre comportement à celui de nos interlocuteurs. Le mimétisme est un processus protecteur et défensif dont le but est celui d’assurer les plus hautes probabilités d’évolution : mais à quel prix ?


Si la faculté de se mimétiser trouve de nombreuses applications dans les sphères naturelle et sociale, elle peut aussi être source d’actions et de réflexions dans le domaine artistique. Le concept aristotélicien de mimésis nous propose d’observer les œuvres d’art comme si elles étaient des reproductions, des imitations du monde réel. L’histoire de l’art contemporain, quant à elle, nous invite à considérer les artistes comme de véri- tables caméléons : capables de se fondre dans différentes communautés (you come and go, you come and go), voire de s’adapter à la précarité et à l’arbitrarité du marché (loving would be easy if your colors were like my dreams / red, gold, and green, red, gold, and green).


A l’occasion de l’invitation de la galerie Territoires Partagés à Marseille, nous proposons d’explorer ces réflexions en instaurant un dialogue entre les œuvres des artistes invités et les nôtres. Marseille est une zone particulièrement propice au mimétsme. Sa nature est imposante : le centre urbain est adjacent de deux parcs naturels qui abritent une importante biodiversité. L’histoire de la ville témoigne des immigrations méditerranéennes passées et présentes, ainsi que des processus d’adaptation qui s’en sont suivis et qui se poursuivent. Les œuvres d’art produites et présentées dans ce contexte peuvent nous fournir une clé supplémentaire pour comprendre ce phénomène et pour explorer la manière dont les artistes peuvent se l’approprier par leur pratique.


Le projet de cette exposition, originairement conçu pour la ville de Marseille, établit un dialogue entre des artistes marseillais et toscans. Nous proposons, en 2024, de présenter Mimesis à Livourne, afin d’entretenir et d’approfondir cet échange. Comme Marseille, Livourne est une ville maritime, portuaire, entourée d’une forte végétation qui marque le style de vie de ses habitants.


Carolina Zaccaro 


Marseille, août 2022

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٤ IN MY END IS MY BEGINNING

Home is where we start from. As we grow older
The world becomes stranger, the pattern more complicated 
Of dead and living. Not the intense moment
Isolated, with no before and after,
But a lifetime burning in every moment.
T.S. Eliot
« East Cocker » Four Quartets

Dans le poème « East Cocker » (1940) T.S. Eliot livre une réflexion sur le pouvoir catalysateur du temps, dont notre perception évolue au fil des âges. Le présent éternel de la mémoire, ainsi qu’une série d’expériences limitées à des instants précis. L’adoption d’une vision circulaire, à traits encyclopédique, permet de condenser et répertorier différentes couches d’appréhension du réel. Imaginons défiler une suite d’images, paroles, sons et formes qui s’entremêlent tout en activant des narrations fragmentaires. L’écoulement de ces associations libres semble mimer les fluctuations cycliques de la vie, mais il trouve aussi des applications transformatrices, notamment à travers les stratégies de ré-appropriation adoptées par les artistes travaillant avec les documents d’archive. À quel moment choisissons-nous d’observer des images que nous n’avons pas fabriquées ? Pourquoi certaines de ces images nous hantent plus que d’autres ? Et dans quelle mesure notre regard serait-il capable de les transfigurer, de leur fabriquer un sens supplémentaire ?

« In my end is my beginning » s’inscrit dans ces questionnements. Ce projet d'exposition est animé par le désir de faire dialoguer le travail d’Apolline Lamoril « Martine de Bandol », celui de Pauline Julier « Cercate Ortensia » et le mien, « Der Taucher». « Martine de Bandol » est une installation, ainsi qu’une édition. En partant de la médiatisation d’un fait divers – la mort par overdose de la jeune Martine, en 1969, dans le casino de Bandol – Apolline Lamoril développe une investigation photographique et littéraire explorant la représentation de la jeunesse, de la mer méditerranéenne, du deuil. « Cercate Ortensia » est un court-métrage sur deux écrans. Inspiré par le poème « La Libellula (Panegirico della libertà » (Amelia Rosselli, 1958), ce montage alterne des images scientifiques, des archives issues des réseaux sociaux, du texte et de fragments de souvenirs filmés par l’artiste. Ces éléments rentrent en collision dans un flux qui résulte à la fois troublant et libérateur. « Der Taucher » est une série d'impressions photographiques grand format sur feutre de laine. Inspiré de l’œuvre homonyme de Friedrich Schiller, ce travail questionne les enjeux de la résistance et de la régénération. Des images de vague sont absorbées par le tissu.

Il y a dans l’ensemble de ces œuvres, me semble-t-il, des points de divergence et de convergence qu’il serait intéressant d’explorer. D’abord, l’hétérogénéité des medium employés par les artistes, qui se prêtent à des modalités de fruition distinctes. Ensuite, la polarité des contenus présentés. Si « Martine de Bandol » traite de la narration d’une jeunesse exacerbée, « Cercate Ortensia » nous renvoie à l’image d’une vieillesse à l’épreuve de la mémoire. Si « Cercate Ortensia » nous précipite dans les feux et les braises des incendies californiens, « Der Taucher » nous trempe dans des eaux artificielles d’une plongée sans fin. Mais au-delà de ces disparités, ces œuvres témoignent d’une sensibilité commune. Les pratiques d’Apolline Lamoril et Pauline Julier, autant que la mienne, sont traversées par une réflexion qui puise ses racines dans l’univers de la littérature. Les narrations qui en suivent sont construites par la juxtaposition de matériaux divers, qu’ils soient issus d’archives ou auto-produits. Bien que ces processus de ré-appropriation suivent des chemins singuliers, chacune de ces trois œuvres tisse le récit d’une perte susceptible de muer en prolifération d’images, textes, sons et objets. En parcourant ces chemins d’associations, ces déplacements de sens, les histoires collectives et individuelles se superposent et s’alimentent entre elles. Tout commencement devient une fin et toute fin devient un commencement.

Carolina Zaccaro
Paris, février 2022
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٤ ESPACE BLANC


L’arrivée sur une île est le résultat d’un voyage.
Le voyageur doit traverser la mer ou le ciel – dans les deux cas, les repères spatiaux s’effacent le long du déplacement. Au terme du voyage, le territoire de l’île se matérialise. C’est justement dans cet écart entre espace terrestre et maritime que nous pouvons deviner les raisons qui emmènent le voyageur à idéaliser le territoire insulaire : il s’agit d’un espace qui apparaît après un moment de blanc, un espace blanc. Paradis perdu où le voyageur peut se poser en oubliant le passage du temps ou espace hostile qu’il doit conquérir comme un colon. Toute île, vierge ou habitée, représente pour le voyageur un espace à découvrir et à s’approprier.

Jusqu’au dix-neuvième siècle, cette volonté de re-appropriation se traduisait par la création des dessins topographiques. Aujourd’hui, le voyageur traduit cette volonté d’appropriation par l’acte photographique. Pourtant, les images réalisées sur l’île ne témoignent pas de l’expérience du voyage : nous y voyons des paysages magni ques, où le soleil méditerranéen aplatit toute distance parmi les objets et le bleu de la mer devient un espace monochrome et inaccessible. Ce sont les mêmes images que nous proposent les agences de voyage, les publicités, le cinéma. Le voyageur les a réalisées, ou même répliquées, sans pour autant nous donner aucune indication sur la nature de son expérience insulaire.

Nous pourrions avancer plusieurs hypothèses, au moins deux, pour expliquer ce phénomène. Au contraire du marin, le voyageur contemporain n’expérimente pas le périple du déplacement pour atteindre l’île – il ne vit pas le temps d’attente et d’observation qui caractérise le déplacement navale, il ne cherche pas à pointer sur une carte géographique les di érentes étapes de son chemin. La plupart des fois, il est conduit d’un aéroport à l’autre, il suit une voie déjà tracée. Il est passif. Voici le premier obstacle qui empêche le visiteur de développer une réelle expérience de l’espace insulaire.

Une fois arrivé sur l’île, il se confronte à la matérialisation d’un nouveau paysage, idyllique, et il s’efforce de le représenter en réalisant des photographies. C’est sans doute un exercice dangereux. Nous connaissons le pouvoir ontologique des images : l’objet représenté n’est qu’une reproduction du réel, un double, et donc un faux. En prenant une image, le photographe s’approche et en suite s’écarte du réel. Dans le cas du voyageur qui débarque sur l’île, nous nous confrontons à une double, voire triple mise à l’écart donnée par le manque d’expérience physique du déplacement, la confrontation à un paysage qui se présente comme une apparition et la volonté de le reproduire par une autre apparition. Une image photographique. Voici le deuxième obstacle qui empêche le visiteur de développer une réelle expérience de l’espace insulaire.

Seul l’autochtone, et donc celui qui n’a pas expérimenté le moment de blanc provoqué par le voyage et qui n’a pas du enregistrer sa présence sur une carte géographique, peut nous livrer une véritable représentation de l’espace insulaire – mais ceci n’est pas l’objet de ce texte. Je voudrais au contraire focaliser mon attention sur le rapport que nous, étrangers, pouvons entretenir avec ce territoire et sa représentation. Si le voyage et la confrontation à un paysage que nous percevons en tant que stéréotypé nous conduisent à une inévitable kénose, comment pouvons-nous nous rapporter aux images qui en suivent ?

L’espace insulaire, espace blanc, se traduit en image par une série de photographies neutres, esthétiquement appréciables et pourtant privées de contenu. C’est un décor. Le seul moyen de s’en approprier est de l’activer par une narration. Finalement, l’acte de pointer les étapes du chemin sur une carte géographique peut être considéré comme une première forme d’activation, dans la mesure où toute chronique de voyage est forcément narrative. Documenter sa présence sur une île, être le premier à le faire, nous permet de la conquérir et donc de la coloniser. Le concept de colonisation dans ce contexte n’est pas anodin : le colonisateur investit le territoire conquis en y projetant son propre bagage culturel. De la même manière, le visiteur contemporain peut activer les photographies réalisées lors du voyage en y projetant les mythes qui dérivent de son identité culturelle.

Depuis les années trente, l’état de Malte devient un lieu de tournage. Cet archipel présente des facilités évidentes à ce propos : une grande variété de paysages, des coûts avantageux, le fait d’être un pays anglophone et la centralisme de sa position géographique. Ces ne sont pas les seules raisons qui rendent si attrayant ce territoire insulaire : l’état de Malte est composé par trois îles qui ont subi différentes colonisations, et pourtant ses paysages sont neutres, propres, rarement nous pouvons remarquer des marques architecturales qui nous permettent de les identifier. C’est ce qui a permis à l’industrie cinématographique maltaise de se développer à démesure lors lors des dernières décénnies.

En 1999, un journaliste de la CNN a écrit un article sur la production cinématographique maltaise en qualfiant l’île d’Hollywood de la Méditerranée. Trois ans plus tard, le London Times à repris cette formulation. Le territoire insulaire devient offciellement un set (en anglais on emploierait le mot stage), espace blanc par excellence. Parmi les productions les plus populaires tournées à Malte nous pouvons compter Popeye, Sinbad et l’oeil du tigre, Gladiator, Troie. Il est intéressant de remarquer que les thématiques proposées par ces films ne sont pas très lointaines de celles traitées par les seacharters : la mythologie du marin, la bataille navale, la popularisation de l’héritage archéologique. Dans un parfait mouvement elliptique, les cartes et les poèmes qu’ils nous ont laissés deviennent des scripts cinématographiques.

Bien évidemment, le territoire insulaire offre une scénographie parfaite à leur mise en scène. Espace blanc, et par conséquent espace parodique, il agit comme un écran sur lequel nous pouvons projeter nos scénarios jusqu’à l’épuisement. Nous colonisons l’espace insulaire par les images parce que son inaccessibilité et sa résistance nous sont insupportables. Pourtant, ces sont les seuls éléments qui nous restent. Une fois dépassé la phase de l’émerveillement esthétique, après avoir monté et démonté son propre set cinématographique, le voyageur réalise de se trouver dans un espace inconnu et jamais connaissable - et il nit par expérimenter la nausée, le mal de mer, l’horror vacui. 



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٤ ESPACES INSULAIRES, ESPACES PARODIQUES


Post-face du livre d'artiste L'Ile d'A., Pierre-Marie Drapeau-Martin.


« De son lecteur, comme de son critique, Elsa Morante attend un rapport direct et frontal. Elle veut être regardée immédiatement droit au visage, par des yeux qui ne s’attardent pas à l’espionner à travers des objectifs ou des superstructures. » (1) Avec cette prémisse nous nous approchons de L’Île d’Arturo (2), histoire du passage tumultueux de l’adolescence à l’âge adulte. Arturo Gerace naît et vit à Procida son enfance et son adolescence. Orphelin de mère, il investit la figure paternelle d’une aura chevaleresque et le territoire de d’île prend pour lui une valeur de lieu légendaire, où la frontière entre mythe et réalité devient fuyante. Les voyages du père, l’amour pour la belle-mère et la rage adolescente sont racontés par Arturo à travers le prisme de sa propre inconscience. Seulement après avoir réussi à établir un point de contact avec le réel, inévitablement douloureux, Arturo choisit d’abandonner Procida et son enfance.

L’Île d’A. de Pierre-Marie Drapeau-Martin explore et traduit le parcours d’Arturo par le biais d’un objectif photographique. Le résultat n’est ni illustratif, ni analytique, il s’agit au contraire de l’évocation sensible d’une quête d’affirmation identitaire. Arturo cherche à interpréter la réalité, mais il l’altère puisqu’il la charge de significations mythologiques. Si Elsa Morante nous invite à poser un regard frontal sur le compte-rendu d’une altération, les distorsions optiques d’une caméra s’avèrent être un excellent support. Les photographies de Pierre-Marie Drapeau-Martin se focalisent sur l’aspect poétique de ce détournement. Un tas de sable qui évoque une île, ou peut-être une forme organique, et la main qui le façonne. Un groupe d’adolescents qui jouent entre les ondes d’une mer dense et grise. Le détail d’une surface rocheuse consommée par le sel. Et puis des images de constructions en métal, en bois, en marbre, qui suggèrent une idée de fragmentation et de structuration.

La volonté de traduire en images l’espace insulaire est centrale dans cette recherche. L’île d’Arturo est le territoire idéalisé des jeux d’enfance et en tant que tel il se place dans la géographie indéfinie des souvenirs individuels. Sa nature inaccessible et sauvage en fait une tabula rasa où il est possible de projeter ses pulsions les plus profondes. Réussir à conquérir ce territoire équivaut à les dominer. Les photographies de L’Île d’A. sont le fruit d’une déambulation entre la Turquie, l’Italie et la Grèce et nous renvoient à un espace imaginaire, produit par leur superposition. D’abord introduit topographiquement, il prend la forme minérale des rochers pour ensuite muter en un univers végétal et sous-marin. La diversité des techniques utilisées (photographie numérique et argentique, sousmarine et aérienne, en noir et blanc et en couleurs) évoque les différentes tentatives d’appropriation du territoire ainsi qu’un archipel de perceptions.

L’espace insulaire s’anime de figures humaines et animales. Ces personnages n’ont pas une valeur proprement narrative, mais suggèrent des actions précises. Une jeune femme pénètre à l’intérieur d’une grotte, un groupe de chiots creuse la terre d’un cimetière, deux jeunes hommes montent sur les hauteurs d’un volcan. Chacun d’entre eux explore le territoire, à partir des profondeurs terrestres et marines pour arriver à l’élévation sur le Vésuve. Cette tension verticale peut être lue en termes métaphoriques – Arturo est très fier de son prénom, qui lui vient d’une étoile. Le mouvement entre le haut et le bas mime également le déploiement de la structure narrative, ouvertement centripète, pour laquelle le héros dirige toutes ses énergies vers une temporalité antérieure, les entrailles maternelles, et finit par s’en distancier. Arturo creuse compulsivement ses propres racines, non pas à la recherche d’une vérité, mais d’une série de symboles. Symboles qui sont largement présents dans L’Île d’A. : la tête de Méduse, la carte du ciel et les constructions jouent le rôle d’indicateurs et de fétiches, ils conduisent le protagoniste à l’élévation finale.

Ce livre veut être une libre évocation du roman d’Elsa Morante. Même s’il ne s’agit pas d’une adaptation fidèle, il est inévitable de se demander ce qui a été perdu de l’œuvre matrice et de questionner la valeur ajoutée de sa traduction. Nous savons qu’Elsa Morante entretenait un rapport ambivalent avec les images - trois fois l’autrice entama et abandonna le projet de réaliser des scripts cinématographiques (3) . Elle collabora également avec Franco Zeffirelli et exerça un fort ascendant sur Pier Paolo Pasolini. En 1962, Damiano Damiani réalisa une adaptation cinématographique de L’Île d’Arturo (4) , qui lui ne plut pas. Bien que décent, le film est un produit hybride, pas totalement fidèle et pas totalement indépendant du roman. Elsa Morante est perturbée par la lecture moraliste de la relation père-fils et par les choix des acteurs. Elle déclare : « Le film que Damiani a tiré de L’île d’Arturo est beau, mais les personnages sont modifiés. Le père, par exemple, est présenté comme un méchant. Au contraire, je ne peux pas juger mes personnages et j’ai besoin de les pardonner avant de les décrire. » (5)

Les photographies de Pierre-Marie Drapeau-Martin suivent une voie parallèle à la narration et conservent une délicatesse enfantine qui frappe. Par moments mélancoliques ou espiègles, elles indiquent leur sujet sans le nommer et sans l’ombre d’un jugement. Elles veulent évoquer la fascination d’Arturo pour son île, ses perceptions et ses états d’âme, et non reconstituer le roman dans son entièreté. Il en résulte une constellation d’images variées, entre paysage et souvenirs d’enfance. Tout souvenir nous renvoie au passé, et la mémoire devient ici un outil de mise à l’écart. Cette distanciation s’explicite au moment de l’épilogue, quand, en quittant Procida, Arturo demande à Silvestro d’épargner la dernière image de l’île. L’Île d.A. respecte cette volonté et termine par une photographie du ciel, réalisée lors d’un vol aérien. Hommage indirect au réalisateur le plus proche d’Elsa Morante, Pier Paolo Pasolini, et à son court métrage Qu'est-ce que les nuages ? (6) : après un spectacle, les marionnettes Otello et Iago sont jetées dans une décharge et observent pour la première fois le monde au-delà du théâtre. Les nuages, objets fascinants et intouchables, captivent instantanément leur regard. Nous ne connaissons pas le destin d’Arturo au-delà de Procida, mais nous pouvons imaginer le même étonnement sensible face au réel.

Carolina Zaccaro
Paris, mars 2017


(1) La Stanza Separata, Cesare Garboli, Mondadori, Milano 1969 p.1
(2) L’île d’Arturo, Elsa Morante, Editions Gallimard 1963
(3) Elsa Morante travailla au script de de Il diavolo (1939), Miss Italia (1949) et Verrano a te sull’aure (1957). Dans le premier cas, l’autrice-même quitta le projet. Le reste de ses scripts ont été jugés difficilement commercialisables et n’ont jamais été produits.
(4) L’île d’Arturo, Damiano Damiani, 1962
(5) Andrea Barbato, L’espresso, 1962
(6) Qu'est-ce que les nuages ?, Pier Paolo Pasolini, 1967


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SPAZI INSULARI, SPAZI PARODISTICI


Post-fazione del libro d'artista L'Ile d'A.,Pierre-Marie Drapeau-Martin. 

« Dal proprio lettore, come dal proprio critico, Elsa Morante si aspetta un rapporto diretto e frontale. Desidera essere riconosciuta subito in viso, da sguardi che non s’attardino a spiarla attraverso lenti o schemi. » (1) Con questa premessa ci si approccia all’Isola di Arturo (2) , storia del passaggio tumultuoso dall’adolescenza all’età adulta. Arturo Gerace nasce e vive a Procida la propria infanzia e adolescenza. Orfano di madre, investe la figura paterna di un’aura cavalleresca e il territorio dell’isola assume per lui la valenza di luogo leggendario, dove il confine tra mito e realtà diventa labile. I viaggi del padre, l’amore per la matrigna e la collera adolescenziale vengono raccontati da Arturo attraverso il prisma della propria inconsapevolezza. Solo dopo essere riuscito a stabilire un punto di contatto con la realtà, inevitabilmente dolorosa, Arturo sceglie di abbandonare Procida e la propria infanzia.

L’Île d’A. di Pierre-Marie Drapeau-Martin esplora e riadatta il percorso di Arturo attraverso una lente fotografica. Il risultato non è né illustrativo né analitico, si tratta al contrario dell’evocazione sensibile di una ricerca di affermazione identitaria. Arturo cerca di interpretare la realtà, ma la altera caricandola di significati mitologici. Se Elsa Morante ci invita a posare uno sguardo frontale sul resoconto di un’alterazione, le distorsioni ottiche di una macchina fotografica possono rivelarsi un ottimo mezzo di supporto. Le fotografie di Pierre-Marie Drapeau-Martin si focalizzano sull’aspetto poetico di questo détournement. Un cumulo di sabbia che evoca un’isola, o forse una forma organica, e la mano che lo modella. Un gruppo di adolescenti che gioca tra le onde di un mare denso e grigio. Il dettaglio di una superficie rocciosa consumata dal salino. E poi immagini di costruzioni in metallo, legno, marmo, che suggeriscono un’idea di frammentazione e strutturazione.

La volontà di tradurre in immagini lo spazio insulare è centrale in questa ricerca. L’isola di Arturo è il territorio idealizzato dei giochi d’infanzia e come tale si colloca nella geografia indefinita dei ricordi individuali. La sua natura inaccessibile e selvaggia fa di lui una tabula rasa dove è possibile proiettare le pulsioni più profonde. Riuscire a conquistare questo territorio equivale a dominarle. Le fotografie de L’Île d’A. sono frutto di una deambulazione tra Turchia, Italia e Grecia e ci rinviano ad uno spazio immaginario, prodotto da una sovrapposizione. Dapprima introdotto topograficamente, assume la forma minerale delle rocce per poi trasformarsi in un universo vegetale e sottomarino. La diversità delle tecniche utilizzate (fotografia digitale e analogica, aerea e sottomarina, in bianco e nero e a colori) evoca i vari tentativi di appropriazione del territorio e suggerisce un arcipelago di percezioni diverse.

La volontà di tradurre in immagini lo spazio insulare è centrale in (fotografia digitale e analogica, aerea e sottomarina, in bianco e nero e a colori) evoca i vari tentativi di appropriazione del territorio e suggerisce un arcipelago di percezioni diverse. Il paesaggio insulare viene animato da figure umani e animali. I personaggi non hanno un vero e proprio valore narrativo, ma suggeriscono delle azioni precise. Cosi una giovane donna penetra in una grotta, un gruppo di cani scava con le zampe il suolo di un cimitero, due ragazzi montano sulle pendici di un vulcano. Ognuno di loro esplora il territorio, dalle profondità terrestre e marine all’elevazione sul Vesuvio. Questa tensione verticale può essere letta in termini metaforici – Arturo è molto affascinato dal proprio nome, che è quello di una stella. Il rapporto tra alto e basso mima ugualmente lo sviluppo della struttura narrativa, apertamente centripeta, per cui l’eroe dirige le proprie energie verso una temporalità antecedente, un grembo materno, e finisce per prenderne le distanze. Arturo scava compulsivamente nelle proprie radici, non alla ricerca di verità, ma di simboli. Simboli che sono largamente presenti: la testa di Medusa, la carta del cielo, le costruzioni funzionano come indicatori e feticci e conducono il protagonista all’elevazione finale.

Questo libro vuole essere una libera evocazione del romanzo di Elsa Morante. Pur non trattandosi di un’adattazione fedele, è inevitabile domandarsi cosa sia andato perso dell’opera matrice e quale sia il valore aggiunto della traduzione. Sappiamo che Elsa Morante intratteneva un rapporto ambivalente con le immagini – ben tre volte l’autrice cominciò e abbandonò il progetto di realizzare script cinematografici (3) . Collaborò ugualmente con Franco Zeffirelli e esercitò un forte ascendente su Pier Paolo Pasolini. Nel 1962, Damiano Damiani realizzò un’adattazione cinematografica de L’Isola d’Arturo (4) , che le piacque poco. Il film, seppur decoroso, è un prodotto ibrido, non del tutto fedele né completamente indipendente dal romanzo. Elsa Morante è perturbata dalla lettura moralistica della relazione padre-figlio e dalla scelta degli interpreti. Dichiara: « Il film che Damiani ha fatto dell’Isola di Arturo è bello, ma i personaggi sono cambiati. Il padre, ad esempio, è visto come un cattivo. Io invece non posso giudicare male i miei personaggi, ho bisogno di perdonarli prima di descriverli. » (5)

Le immagini di Pierre Marie Drapeau Martin scorrono su un binario parallelo a quello della narrazione e conservano una delicatezza infantile che colpisce. A tratti malinconiche o giocose, additano al loro soggetto senza nominarlo e senza l’ombra di un giudizio. Vogliono evocare la fascinazione del protagonista per la propria isola, la percezione dei suoi stati d’animo, e non ricostituire il romanzo nella sua interezza. Ne risulta una costellazione di immagini diverse, tra paesaggio e ricordi d’infanzia. Ogni ricordo ci riporta al passato, e la memoria diventa qui prova di un divario. L’allontanamento si esplicita al momento dell’epilogo, quando, abbandonando Procida, Arturo chiede a Silvestro di risparmiargli l’ultima immagine dell’isola. L’Île d’A. rispetta questa volontà e termina con una fotografia del cielo, realizzata durante un volo aereo. Omaggio indiretto al regista più vicino a Elsa Morante, Pier Paolo Pasolini, e al suo cortometraggio Che cosa sono le nuvole? (6) : dopo uno spettacolo, le marionette Otello e Iago vengono gettate in una discarica e osservano per la prima volta il mondo al di fuori del teatro. Le nuvole, oggetti affascinati e intoccabili, catturano istantaneamente il loro sguardo. Non conosciamo il destino di Arturo al di fuori di Procida, ma possiamo immaginare lo stesso stupore sensibile davanti alla realtà.

Carolina Zaccaro
Parigi, marzo 2017


(1) La Stanza Separata, Cesare Garboli, Mondadori, Milano 1969 p.1
(2) L’isola di Arturo, Elsa Morante, Giulio Einaudi Editore, Torino 1957
(3) Elsa Morante si dedicò al trattamento dello script de Il diavolo (1939), Miss Italia (1949) e Verranno a te sull’aure (1957). Nel primo caso, l’autrice stessa abbandono il progetto. Il resto dei suoi script fu giudicato poco commerciale e non venne mai prodotto.
(4) L’isola d’Arturo, Damiano Damiani, 1962
(5) L’espresso, Andrea Barbato, 1962
(6) Che cosa sono le nuvole? Pier Paolo Pasolini, 1967
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٤ L’ŒUVRE D'ART COMME ÉPREUVE DE L'ÉCART ENTRE LA MESURE ET L'OBJET


Installations, sculptures, performances. Ces pratiques altèrent notre perception de l’espace et nous proposent d’expérimenter des non-lieux. Si l’œuvre d’art est une atopie, comment pouvons-nous donc nous placer face à l’écart qui s’en suit ? Simplement, en acceptant et en établissant les justes distances.

Pour illustrer ce processus, nous nous servirons du texte du Baron Perché, roman clé de l’œuvre d’Italo Calvino et nous appliquerons à sa structure narrative la valeur de paradigme de création. Le Baron, incapable de se tenir aux règles préétablies instaure une distance entre soi et le monde et choisit d’interagir avec son entourage depuis le haut des arbres. Éloge de la légèreté, de la désobéissance, de l’obstination, le roman de Calvino nous propose de découvrir l’éthique de l’immaturité. 
Peut-elle conduire à des résultats inattendus ?
L’œuvre d'art comme épreuve de l'écart entre la mesure et l'objet
→ Article publié par le Centre de Recherche Art & Image, il est possible de télécharger sa version intégrale ICI 

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٤ MIMESIS


Un projet curatorial de Carolina Zaccaro et Francesca Sand


Karma, karma, karma, karma, karma chameleon
You come and go, you come and go
Loving would be easy if your colors were like my dreams 

Red, gold, and green, red, gold, and green

Culture Club, «Karma caméléon» (1983)


« Karma Chamaleon », chantaient les Culture Club dans les années ‘80. La chanson a rapidement connu le succès international, devenant partie intégrante de la culture po- pulaire. En effet, le caméléon représente au mieux l’esprit d’adaptation : sa capacité de camouflage est transversale, quasi instantanée, et directement perceptible. Nous pensons maintenant au mimétisme naturel, le phénomène par lequel certaines espèces animales et végétales prennent les couleurs et les formes du milieu environnant. Ou encore au mimétisme social, le phénomène par lequel, inconsciemment, nous finissons par adapter notre comportement à celui de nos interlocuteurs. Le mimétisme est un processus protecteur et défensif dont le but est celui d’assurer les plus hautes probabilités d’évolution : mais à quel prix ?


Si la faculté de se mimétiser trouve de nombreuses applications dans les sphères naturelle et sociale, elle peut aussi être source d’actions et de réflexions dans le domaine artistique. Le concept aristotélicien de mimésis nous propose d’observer les œuvres d’art comme si elles étaient des reproductions, des imitations du monde réel. L’histoire de l’art contemporain, quant à elle, nous invite à considérer les artistes comme de véri- tables caméléons : capables de se fondre dans différentes communautés (you come and go, you come and go), voire de s’adapter à la précarité et à l’arbitrarité du marché (loving would be easy if your colors were like my dreams / red, gold, and green, red, gold, and green).


A l’occasion de l’invitation de la galerie Territoires Partagés à Marseille, nous proposons d’explorer ces réflexions en instaurant un dialogue entre les œuvres des artistes invités et les nôtres. Marseille est une zone particulièrement propice au mimétsme. Sa nature est imposante : le centre urbain est adjacent de deux parcs naturels qui abritent une importante biodiversité. L’histoire de la ville témoigne des immigrations méditerranéennes passées et présentes, ainsi que des processus d’adaptation qui s’en sont suivis et qui se poursuivent. Les œuvres d’art produites et présentées dans ce contexte peuvent nous fournir une clé supplémentaire pour comprendre ce phénomène et pour explorer la manière dont les artistes peuvent se l’approprier par leur pratique.


Le projet de cette exposition, originairement conçu pour la ville de Marseille, établit un dialogue entre des artistes marseillais et toscans. Nous proposons, en 2024, de présenter Mimesis à Livourne, afin d’entretenir et d’approfondir cet échange. Comme Marseille, Livourne est une ville maritime, portuaire, entourée d’une forte végétation qui marque le style de vie de ses habitants.


Carolina Zaccaro 


Marseille, août 2022

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٤ IN MY END IS MY BEGINNING

Home is where we start from. As we grow older
The world becomes stranger, the pattern more complicated 
Of dead and living. Not the intense moment
Isolated, with no before and after,
But a lifetime burning in every moment.
T.S. Eliot
« East Cocker » Four Quartets

Dans le poème « East Cocker » (1940) T.S. Eliot livre une réflexion sur le pouvoir catalysateur du temps, dont notre perception évolue au fil des âges. Le présent éternel de la mémoire, ainsi qu’une série d’expériences limitées à des instants précis. L’adoption d’une vision circulaire, à traits encyclopédique, permet de condenser et répertorier différentes couches d’appréhension du réel. Imaginons défiler une suite d’images, paroles, sons et formes qui s’entremêlent tout en activant des narrations fragmentaires. L’écoulement de ces associations libres semble mimer les fluctuations cycliques de la vie, mais il trouve aussi des applications transformatrices, notamment à travers les stratégies de ré-appropriation adoptées par les artistes travaillant avec les documents d’archive. À quel moment choisissons-nous d’observer des images que nous n’avons pas fabriquées ? Pourquoi certaines de ces images nous hantent plus que d’autres ? Et dans quelle mesure notre regard serait-il capable de les transfigurer, de leur fabriquer un sens supplémentaire ?

« In my end is my beginning » s’inscrit dans ces questionnements. Ce projet d'exposition est animé par le désir de faire dialoguer le travail d’Apolline Lamoril « Martine de Bandol », celui de Pauline Julier « Cercate Ortensia » et le mien, « Der Taucher». « Martine de Bandol » est une installation, ainsi qu’une édition. En partant de la médiatisation d’un fait divers – la mort par overdose de la jeune Martine, en 1969, dans le casino de Bandol – Apolline Lamoril développe une investigation photographique et littéraire explorant la représentation de la jeunesse, de la mer méditerranéenne, du deuil. « Cercate Ortensia » est un court-métrage sur deux écrans. Inspiré par le poème « La Libellula (Panegirico della libertà » (Amelia Rosselli, 1958), ce montage alterne des images scientifiques, des archives issues des réseaux sociaux, du texte et de fragments de souvenirs filmés par l’artiste. Ces éléments rentrent en collision dans un flux qui résulte à la fois troublant et libérateur. « Der Taucher » est une série d'impressions photographiques grand format sur feutre de laine. Inspiré de l’œuvre homonyme de Friedrich Schiller, ce travail questionne les enjeux de la résistance et de la régénération. Des images de vague sont absorbées par le tissu.

Il y a dans l’ensemble de ces œuvres, me semble-t-il, des points de divergence et de convergence qu’il serait intéressant d’explorer. D’abord, l’hétérogénéité des medium employés par les artistes, qui se prêtent à des modalités de fruition distinctes. Ensuite, la polarité des contenus présentés. Si « Martine de Bandol » traite de la narration d’une jeunesse exacerbée, « Cercate Ortensia » nous renvoie à l’image d’une vieillesse à l’épreuve de la mémoire. Si « Cercate Ortensia » nous précipite dans les feux et les braises des incendies californiens, « Der Taucher » nous trempe dans des eaux artificielles d’une plongée sans fin. Mais au-delà de ces disparités, ces œuvres témoignent d’une sensibilité commune. Les pratiques d’Apolline Lamoril et Pauline Julier, autant que la mienne, sont traversées par une réflexion qui puise ses racines dans l’univers de la littérature. Les narrations qui en suivent sont construites par la juxtaposition de matériaux divers, qu’ils soient issus d’archives ou auto-produits. Bien que ces processus de ré-appropriation suivent des chemins singuliers, chacune de ces trois œuvres tisse le récit d’une perte susceptible de muer en prolifération d’images, textes, sons et objets. En parcourant ces chemins d’associations, ces déplacements de sens, les histoires collectives et individuelles se superposent et s’alimentent entre elles. Tout commencement devient une fin et toute fin devient un commencement.

Carolina Zaccaro
Paris, février 2022
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٤ ESPACE BLANC


L’arrivée sur une île est le résultat d’un voyage.
Le voyageur doit traverser la mer ou le ciel – dans les deux cas, les repères spatiaux s’effacent le long du déplacement. Au terme du voyage, le territoire de l’île se matérialise. C’est justement dans cet écart entre espace terrestre et maritime que nous pouvons deviner les raisons qui emmènent le voyageur à idéaliser le territoire insulaire : il s’agit d’un espace qui apparaît après un moment de blanc, un espace blanc. Paradis perdu où le voyageur peut se poser en oubliant le passage du temps ou espace hostile qu’il doit conquérir comme un colon. Toute île, vierge ou habitée, représente pour le voyageur un espace à découvrir et à s’approprier.

Jusqu’au dix-neuvième siècle, cette volonté de re-appropriation se traduisait par la création des dessins topographiques. Aujourd’hui, le voyageur traduit cette volonté d’appropriation par l’acte photographique. Pourtant, les images réalisées sur l’île ne témoignent pas de l’expérience du voyage : nous y voyons des paysages magni ques, où le soleil méditerranéen aplatit toute distance parmi les objets et le bleu de la mer devient un espace monochrome et inaccessible. Ce sont les mêmes images que nous proposent les agences de voyage, les publicités, le cinéma. Le voyageur les a réalisées, ou même répliquées, sans pour autant nous donner aucune indication sur la nature de son expérience insulaire.

Nous pourrions avancer plusieurs hypothèses, au moins deux, pour expliquer ce phénomène. Au contraire du marin, le voyageur contemporain n’expérimente pas le périple du déplacement pour atteindre l’île – il ne vit pas le temps d’attente et d’observation qui caractérise le déplacement navale, il ne cherche pas à pointer sur une carte géographique les di érentes étapes de son chemin. La plupart des fois, il est conduit d’un aéroport à l’autre, il suit une voie déjà tracée. Il est passif. Voici le premier obstacle qui empêche le visiteur de développer une réelle expérience de l’espace insulaire.

Une fois arrivé sur l’île, il se confronte à la matérialisation d’un nouveau paysage, idyllique, et il s’efforce de le représenter en réalisant des photographies. C’est sans doute un exercice dangereux. Nous connaissons le pouvoir ontologique des images : l’objet représenté n’est qu’une reproduction du réel, un double, et donc un faux. En prenant une image, le photographe s’approche et en suite s’écarte du réel. Dans le cas du voyageur qui débarque sur l’île, nous nous confrontons à une double, voire triple mise à l’écart donnée par le manque d’expérience physique du déplacement, la confrontation à un paysage qui se présente comme une apparition et la volonté de le reproduire par une autre apparition. Une image photographique. Voici le deuxième obstacle qui empêche le visiteur de développer une réelle expérience de l’espace insulaire.

Seul l’autochtone, et donc celui qui n’a pas expérimenté le moment de blanc provoqué par le voyage et qui n’a pas du enregistrer sa présence sur une carte géographique, peut nous livrer une véritable représentation de l’espace insulaire – mais ceci n’est pas l’objet de ce texte. Je voudrais au contraire focaliser mon attention sur le rapport que nous, étrangers, pouvons entretenir avec ce territoire et sa représentation. Si le voyage et la confrontation à un paysage que nous percevons en tant que stéréotypé nous conduisent à une inévitable kénose, comment pouvons-nous nous rapporter aux images qui en suivent ?

L’espace insulaire, espace blanc, se traduit en image par une série de photographies neutres, esthétiquement appréciables et pourtant privées de contenu. C’est un décor. Le seul moyen de s’en approprier est de l’activer par une narration. Finalement, l’acte de pointer les étapes du chemin sur une carte géographique peut être considéré comme une première forme d’activation, dans la mesure où toute chronique de voyage est forcément narrative. Documenter sa présence sur une île, être le premier à le faire, nous permet de la conquérir et donc de la coloniser. Le concept de colonisation dans ce contexte n’est pas anodin : le colonisateur investit le territoire conquis en y projetant son propre bagage culturel. De la même manière, le visiteur contemporain peut activer les photographies réalisées lors du voyage en y projetant les mythes qui dérivent de son identité culturelle.

Depuis les années trente, l’état de Malte devient un lieu de tournage. Cet archipel présente des facilités évidentes à ce propos : une grande variété de paysages, des coûts avantageux, le fait d’être un pays anglophone et la centralisme de sa position géographique. Ces ne sont pas les seules raisons qui rendent si attrayant ce territoire insulaire : l’état de Malte est composé par trois îles qui ont subi différentes colonisations, et pourtant ses paysages sont neutres, propres, rarement nous pouvons remarquer des marques architecturales qui nous permettent de les identifier. C’est ce qui a permis à l’industrie cinématographique maltaise de se développer à démesure lors lors des dernières décénnies.

En 1999, un journaliste de la CNN a écrit un article sur la production cinématographique maltaise en qualfiant l’île d’Hollywood de la Méditerranée. Trois ans plus tard, le London Times à repris cette formulation. Le territoire insulaire devient offciellement un set (en anglais on emploierait le mot stage), espace blanc par excellence. Parmi les productions les plus populaires tournées à Malte nous pouvons compter Popeye, Sinbad et l’oeil du tigre, Gladiator, Troie. Il est intéressant de remarquer que les thématiques proposées par ces films ne sont pas très lointaines de celles traitées par les seacharters : la mythologie du marin, la bataille navale, la popularisation de l’héritage archéologique. Dans un parfait mouvement elliptique, les cartes et les poèmes qu’ils nous ont laissés deviennent des scripts cinématographiques.

Bien évidemment, le territoire insulaire offre une scénographie parfaite à leur mise en scène. Espace blanc, et par conséquent espace parodique, il agit comme un écran sur lequel nous pouvons projeter nos scénarios jusqu’à l’épuisement. Nous colonisons l’espace insulaire par les images parce que son inaccessibilité et sa résistance nous sont insupportables. Pourtant, ces sont les seuls éléments qui nous restent. Une fois dépassé la phase de l’émerveillement esthétique, après avoir monté et démonté son propre set cinématographique, le voyageur réalise de se trouver dans un espace inconnu et jamais connaissable - et il nit par expérimenter la nausée, le mal de mer, l’horror vacui. 



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٤ ESPACES INSULAIRES, ESPACES PARODIQUES


Post-face du livre d'artiste L'Ile d'A., Pierre-Marie Drapeau-Martin.


« De son lecteur, comme de son critique, Elsa Morante attend un rapport direct et frontal. Elle veut être regardée immédiatement droit au visage, par des yeux qui ne s’attardent pas à l’espionner à travers des objectifs ou des superstructures. » (1) Avec cette prémisse nous nous approchons de L’Île d’Arturo (2), histoire du passage tumultueux de l’adolescence à l’âge adulte. Arturo Gerace naît et vit à Procida son enfance et son adolescence. Orphelin de mère, il investit la figure paternelle d’une aura chevaleresque et le territoire de d’île prend pour lui une valeur de lieu légendaire, où la frontière entre mythe et réalité devient fuyante. Les voyages du père, l’amour pour la belle-mère et la rage adolescente sont racontés par Arturo à travers le prisme de sa propre inconscience. Seulement après avoir réussi à établir un point de contact avec le réel, inévitablement douloureux, Arturo choisit d’abandonner Procida et son enfance.

L’Île d’A. de Pierre-Marie Drapeau-Martin explore et traduit le parcours d’Arturo par le biais d’un objectif photographique. Le résultat n’est ni illustratif, ni analytique, il s’agit au contraire de l’évocation sensible d’une quête d’affirmation identitaire. Arturo cherche à interpréter la réalité, mais il l’altère puisqu’il la charge de significations mythologiques. Si Elsa Morante nous invite à poser un regard frontal sur le compte-rendu d’une altération, les distorsions optiques d’une caméra s’avèrent être un excellent support. Les photographies de Pierre-Marie Drapeau-Martin se focalisent sur l’aspect poétique de ce détournement. Un tas de sable qui évoque une île, ou peut-être une forme organique, et la main qui le façonne. Un groupe d’adolescents qui jouent entre les ondes d’une mer dense et grise. Le détail d’une surface rocheuse consommée par le sel. Et puis des images de constructions en métal, en bois, en marbre, qui suggèrent une idée de fragmentation et de structuration.

La volonté de traduire en images l’espace insulaire est centrale dans cette recherche. L’île d’Arturo est le territoire idéalisé des jeux d’enfance et en tant que tel il se place dans la géographie indéfinie des souvenirs individuels. Sa nature inaccessible et sauvage en fait une tabula rasa où il est possible de projeter ses pulsions les plus profondes. Réussir à conquérir ce territoire équivaut à les dominer. Les photographies de L’Île d’A. sont le fruit d’une déambulation entre la Turquie, l’Italie et la Grèce et nous renvoient à un espace imaginaire, produit par leur superposition. D’abord introduit topographiquement, il prend la forme minérale des rochers pour ensuite muter en un univers végétal et sous-marin. La diversité des techniques utilisées (photographie numérique et argentique, sousmarine et aérienne, en noir et blanc et en couleurs) évoque les différentes tentatives d’appropriation du territoire ainsi qu’un archipel de perceptions.

L’espace insulaire s’anime de figures humaines et animales. Ces personnages n’ont pas une valeur proprement narrative, mais suggèrent des actions précises. Une jeune femme pénètre à l’intérieur d’une grotte, un groupe de chiots creuse la terre d’un cimetière, deux jeunes hommes montent sur les hauteurs d’un volcan. Chacun d’entre eux explore le territoire, à partir des profondeurs terrestres et marines pour arriver à l’élévation sur le Vésuve. Cette tension verticale peut être lue en termes métaphoriques – Arturo est très fier de son prénom, qui lui vient d’une étoile. Le mouvement entre le haut et le bas mime également le déploiement de la structure narrative, ouvertement centripète, pour laquelle le héros dirige toutes ses énergies vers une temporalité antérieure, les entrailles maternelles, et finit par s’en distancier. Arturo creuse compulsivement ses propres racines, non pas à la recherche d’une vérité, mais d’une série de symboles. Symboles qui sont largement présents dans L’Île d’A. : la tête de Méduse, la carte du ciel et les constructions jouent le rôle d’indicateurs et de fétiches, ils conduisent le protagoniste à l’élévation finale.

Ce livre veut être une libre évocation du roman d’Elsa Morante. Même s’il ne s’agit pas d’une adaptation fidèle, il est inévitable de se demander ce qui a été perdu de l’œuvre matrice et de questionner la valeur ajoutée de sa traduction. Nous savons qu’Elsa Morante entretenait un rapport ambivalent avec les images - trois fois l’autrice entama et abandonna le projet de réaliser des scripts cinématographiques (3) . Elle collabora également avec Franco Zeffirelli et exerça un fort ascendant sur Pier Paolo Pasolini. En 1962, Damiano Damiani réalisa une adaptation cinématographique de L’Île d’Arturo (4) , qui lui ne plut pas. Bien que décent, le film est un produit hybride, pas totalement fidèle et pas totalement indépendant du roman. Elsa Morante est perturbée par la lecture moraliste de la relation père-fils et par les choix des acteurs. Elle déclare : « Le film que Damiani a tiré de L’île d’Arturo est beau, mais les personnages sont modifiés. Le père, par exemple, est présenté comme un méchant. Au contraire, je ne peux pas juger mes personnages et j’ai besoin de les pardonner avant de les décrire. » (5)

Les photographies de Pierre-Marie Drapeau-Martin suivent une voie parallèle à la narration et conservent une délicatesse enfantine qui frappe. Par moments mélancoliques ou espiègles, elles indiquent leur sujet sans le nommer et sans l’ombre d’un jugement. Elles veulent évoquer la fascination d’Arturo pour son île, ses perceptions et ses états d’âme, et non reconstituer le roman dans son entièreté. Il en résulte une constellation d’images variées, entre paysage et souvenirs d’enfance. Tout souvenir nous renvoie au passé, et la mémoire devient ici un outil de mise à l’écart. Cette distanciation s’explicite au moment de l’épilogue, quand, en quittant Procida, Arturo demande à Silvestro d’épargner la dernière image de l’île. L’Île d.A. respecte cette volonté et termine par une photographie du ciel, réalisée lors d’un vol aérien. Hommage indirect au réalisateur le plus proche d’Elsa Morante, Pier Paolo Pasolini, et à son court métrage Qu'est-ce que les nuages ? (6) : après un spectacle, les marionnettes Otello et Iago sont jetées dans une décharge et observent pour la première fois le monde au-delà du théâtre. Les nuages, objets fascinants et intouchables, captivent instantanément leur regard. Nous ne connaissons pas le destin d’Arturo au-delà de Procida, mais nous pouvons imaginer le même étonnement sensible face au réel.

Carolina Zaccaro
Paris, mars 2017


(1) La Stanza Separata, Cesare Garboli, Mondadori, Milano 1969 p.1
(2) L’île d’Arturo, Elsa Morante, Editions Gallimard 1963
(3) Elsa Morante travailla au script de de Il diavolo (1939), Miss Italia (1949) et Verrano a te sull’aure (1957). Dans le premier cas, l’autrice-même quitta le projet. Le reste de ses scripts ont été jugés difficilement commercialisables et n’ont jamais été produits.
(4) L’île d’Arturo, Damiano Damiani, 1962
(5) Andrea Barbato, L’espresso, 1962
(6) Qu'est-ce que les nuages ?, Pier Paolo Pasolini, 1967


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SPAZI INSULARI, SPAZI PARODISTICI


Post-fazione del libro d'artista L'Ile d'A.,Pierre-Marie Drapeau-Martin. 

« Dal proprio lettore, come dal proprio critico, Elsa Morante si aspetta un rapporto diretto e frontale. Desidera essere riconosciuta subito in viso, da sguardi che non s’attardino a spiarla attraverso lenti o schemi. » (1) Con questa premessa ci si approccia all’Isola di Arturo (2) , storia del passaggio tumultuoso dall’adolescenza all’età adulta. Arturo Gerace nasce e vive a Procida la propria infanzia e adolescenza. Orfano di madre, investe la figura paterna di un’aura cavalleresca e il territorio dell’isola assume per lui la valenza di luogo leggendario, dove il confine tra mito e realtà diventa labile. I viaggi del padre, l’amore per la matrigna e la collera adolescenziale vengono raccontati da Arturo attraverso il prisma della propria inconsapevolezza. Solo dopo essere riuscito a stabilire un punto di contatto con la realtà, inevitabilmente dolorosa, Arturo sceglie di abbandonare Procida e la propria infanzia.

L’Île d’A. di Pierre-Marie Drapeau-Martin esplora e riadatta il percorso di Arturo attraverso una lente fotografica. Il risultato non è né illustrativo né analitico, si tratta al contrario dell’evocazione sensibile di una ricerca di affermazione identitaria. Arturo cerca di interpretare la realtà, ma la altera caricandola di significati mitologici. Se Elsa Morante ci invita a posare uno sguardo frontale sul resoconto di un’alterazione, le distorsioni ottiche di una macchina fotografica possono rivelarsi un ottimo mezzo di supporto. Le fotografie di Pierre-Marie Drapeau-Martin si focalizzano sull’aspetto poetico di questo détournement. Un cumulo di sabbia che evoca un’isola, o forse una forma organica, e la mano che lo modella. Un gruppo di adolescenti che gioca tra le onde di un mare denso e grigio. Il dettaglio di una superficie rocciosa consumata dal salino. E poi immagini di costruzioni in metallo, legno, marmo, che suggeriscono un’idea di frammentazione e strutturazione.

La volontà di tradurre in immagini lo spazio insulare è centrale in questa ricerca. L’isola di Arturo è il territorio idealizzato dei giochi d’infanzia e come tale si colloca nella geografia indefinita dei ricordi individuali. La sua natura inaccessibile e selvaggia fa di lui una tabula rasa dove è possibile proiettare le pulsioni più profonde. Riuscire a conquistare questo territorio equivale a dominarle. Le fotografie de L’Île d’A. sono frutto di una deambulazione tra Turchia, Italia e Grecia e ci rinviano ad uno spazio immaginario, prodotto da una sovrapposizione. Dapprima introdotto topograficamente, assume la forma minerale delle rocce per poi trasformarsi in un universo vegetale e sottomarino. La diversità delle tecniche utilizzate (fotografia digitale e analogica, aerea e sottomarina, in bianco e nero e a colori) evoca i vari tentativi di appropriazione del territorio e suggerisce un arcipelago di percezioni diverse.

La volontà di tradurre in immagini lo spazio insulare è centrale in (fotografia digitale e analogica, aerea e sottomarina, in bianco e nero e a colori) evoca i vari tentativi di appropriazione del territorio e suggerisce un arcipelago di percezioni diverse. Il paesaggio insulare viene animato da figure umani e animali. I personaggi non hanno un vero e proprio valore narrativo, ma suggeriscono delle azioni precise. Cosi una giovane donna penetra in una grotta, un gruppo di cani scava con le zampe il suolo di un cimitero, due ragazzi montano sulle pendici di un vulcano. Ognuno di loro esplora il territorio, dalle profondità terrestre e marine all’elevazione sul Vesuvio. Questa tensione verticale può essere letta in termini metaforici – Arturo è molto affascinato dal proprio nome, che è quello di una stella. Il rapporto tra alto e basso mima ugualmente lo sviluppo della struttura narrativa, apertamente centripeta, per cui l’eroe dirige le proprie energie verso una temporalità antecedente, un grembo materno, e finisce per prenderne le distanze. Arturo scava compulsivamente nelle proprie radici, non alla ricerca di verità, ma di simboli. Simboli che sono largamente presenti: la testa di Medusa, la carta del cielo, le costruzioni funzionano come indicatori e feticci e conducono il protagonista all’elevazione finale.

Questo libro vuole essere una libera evocazione del romanzo di Elsa Morante. Pur non trattandosi di un’adattazione fedele, è inevitabile domandarsi cosa sia andato perso dell’opera matrice e quale sia il valore aggiunto della traduzione. Sappiamo che Elsa Morante intratteneva un rapporto ambivalente con le immagini – ben tre volte l’autrice cominciò e abbandonò il progetto di realizzare script cinematografici (3) . Collaborò ugualmente con Franco Zeffirelli e esercitò un forte ascendente su Pier Paolo Pasolini. Nel 1962, Damiano Damiani realizzò un’adattazione cinematografica de L’Isola d’Arturo (4) , che le piacque poco. Il film, seppur decoroso, è un prodotto ibrido, non del tutto fedele né completamente indipendente dal romanzo. Elsa Morante è perturbata dalla lettura moralistica della relazione padre-figlio e dalla scelta degli interpreti. Dichiara: « Il film che Damiani ha fatto dell’Isola di Arturo è bello, ma i personaggi sono cambiati. Il padre, ad esempio, è visto come un cattivo. Io invece non posso giudicare male i miei personaggi, ho bisogno di perdonarli prima di descriverli. » (5)

Le immagini di Pierre Marie Drapeau Martin scorrono su un binario parallelo a quello della narrazione e conservano una delicatezza infantile che colpisce. A tratti malinconiche o giocose, additano al loro soggetto senza nominarlo e senza l’ombra di un giudizio. Vogliono evocare la fascinazione del protagonista per la propria isola, la percezione dei suoi stati d’animo, e non ricostituire il romanzo nella sua interezza. Ne risulta una costellazione di immagini diverse, tra paesaggio e ricordi d’infanzia. Ogni ricordo ci riporta al passato, e la memoria diventa qui prova di un divario. L’allontanamento si esplicita al momento dell’epilogo, quando, abbandonando Procida, Arturo chiede a Silvestro di risparmiargli l’ultima immagine dell’isola. L’Île d’A. rispetta questa volontà e termina con una fotografia del cielo, realizzata durante un volo aereo. Omaggio indiretto al regista più vicino a Elsa Morante, Pier Paolo Pasolini, e al suo cortometraggio Che cosa sono le nuvole? (6) : dopo uno spettacolo, le marionette Otello e Iago vengono gettate in una discarica e osservano per la prima volta il mondo al di fuori del teatro. Le nuvole, oggetti affascinati e intoccabili, catturano istantaneamente il loro sguardo. Non conosciamo il destino di Arturo al di fuori di Procida, ma possiamo immaginare lo stesso stupore sensibile davanti alla realtà.

Carolina Zaccaro
Parigi, marzo 2017


(1) La Stanza Separata, Cesare Garboli, Mondadori, Milano 1969 p.1
(2) L’isola di Arturo, Elsa Morante, Giulio Einaudi Editore, Torino 1957
(3) Elsa Morante si dedicò al trattamento dello script de Il diavolo (1939), Miss Italia (1949) e Verranno a te sull’aure (1957). Nel primo caso, l’autrice stessa abbandono il progetto. Il resto dei suoi script fu giudicato poco commerciale e non venne mai prodotto.
(4) L’isola d’Arturo, Damiano Damiani, 1962
(5) L’espresso, Andrea Barbato, 1962
(6) Che cosa sono le nuvole? Pier Paolo Pasolini, 1967
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٤ L’ŒUVRE D'ART COMME ÉPREUVE DE L'ÉCART ENTRE LA MESURE ET L'OBJET


Installations, sculptures, performances. Ces pratiques altèrent notre perception de l’espace et nous proposent d’expérimenter des non-lieux. Si l’œuvre d’art est une atopie, comment pouvons-nous donc nous placer face à l’écart qui s’en suit ? Simplement, en acceptant et en établissant les justes distances.

Pour illustrer ce processus, nous nous servirons du texte du Baron Perché, roman clé de l’œuvre d’Italo Calvino et nous appliquerons à sa structure narrative la valeur de paradigme de création. Le Baron, incapable de se tenir aux règles préétablies instaure une distance entre soi et le monde et choisit d’interagir avec son entourage depuis le haut des arbres. Éloge de la légèreté, de la désobéissance, de l’obstination, le roman de Calvino nous propose de découvrir l’éthique de l’immaturité. 
Peut-elle conduire à des résultats inattendus ?
L’œuvre d'art comme épreuve de l'écart entre la mesure et l'objet
→ Article publié par le Centre de Recherche Art & Image, il est possible de télécharger sa version intégrale ICI